mercredi 9 janvier 2008

Dossier: L’engagement politique des marocains en France

L’engagement politique sincère et actif pour l’intérêt général est une des formes supérieures du volontariat dont toute nation a besoin. Après des années de restriction de l’exercice des libertés publiques, de consultations électorales controversées et de gestion désastreuse, il est normal que nous, jeunes citoyens marocains, répugnions à nous engager politiquement et éprouvions une désaffectation marquée à l’égard de la chose politique. Pourtant le champ politique marocain n’a jamais été aussi propice à l’engagement. De nombreux signes de bonnes volontés de nos dirigeants annoncent les changements tant attendus depuis l’indépendance du Maroc et pour lesquelles nos parents se sont battus et ont payé de leurs vies.

Pour nous autres, jeunes marocains résidant en France, cet engagement est devenu quasi nul depuis le début des années 90. Nous constituons en fait cette génération post années de plomb qui n’a jamais réellement souffert des vindictes de la politique intérieure de notre pays. Aveuglés par une aisance matérielle ou couvés par notre entourage, la conscience civique et patriotique s’est peu à peu dissipée pour ne ressurgir que les jours des grands rendez-vous footballistiques !

La communauté des étudiants marocains en France est un monde à elle seule. Elle a son histoire, ses mutations, ses victoires et ses défaites, ses périodes d’apogée et de crise, ses complots… Voyons d’abord un peu en arrière.

Une histoire militante riche

D’après l’historien P. Vermeren, spécialiste du Maroc contemporain, la communauté des étudiants marocains en France a connu quatre générations distinctes :

La génération des pionniers : une poignée de chanceux, héritiers des grandes familles de notables marocains qui durant le protectorat français fait ses classes en métropole pour former les premiers médecins, avocats et officiers diplômés du Maroc. Ils seront les premiers à défendre les intérêts du Maroc et à militer activement pour son indépendance. Ceci se fera grâce notamment à la création de l’AEMNAF, l’Association des Etudiants Musulmans Nord-africains en France qui en installant les premiers la toute jeune Maison du Maroc à la Cité Universitaire de Paris permettront à l’association d’offrir un cadre d’expression et de réflexion aux intellectuels qui prendront les rênes du Maroc à l’indépendance.

La génération de l’indépendance : c’est la période où le militantisme des marocains de France connaît sa véritable ascension. Mené par des grandes figures du nationalisme marocain tel que Ben Barka pour ne citer que lui, la jeunesse marocaine de France se met à rêver d’un Maroc moderne et libre après des années de domination coloniale. Les partis politiques marocains sont fortement représentés en métropole par le biais de nouvelles associations à caractère clairement politique comme l’UNEF, Union Nationale des Etudiants de France, l’UNEM, Union Nationale des Etudiants Musulman ou encore l’AMF, Association des marocains de France créée par Ben Barka en 1961. Le bouleversement social des années soixante en France est pleinement vécu par cette génération qui s’en inspirera pour défendre et importer au Maroc les valeurs d’égalité, de liberté et de démocratie… d’où le fait qu’elle ait été socialiste durant les années 60 puis marxiste-léniniste au cours des années 70. Malheureusement, le pouvoir de l’époque voit avec méfiance ce goût croissant pour la politique et des drames comme l’enlèvement de Ben Barka ou l’exil forcé d’une partie de l’intelligentsia marocaine privent le Maroc des plus grands intellectuels et hommes d’états. Tant pis, le combat de ces hommes se fera de l’extérieur… mais non sans mal.

La génération de l’ouverture : cette génération d’étudiants qui atterrit en France fin des années 70 a connu le Maroc au début de l’indépendance et a souffert directement du règne sans partage du roi Hassan II. Si cette génération délaisse les études littéraires pour se former à l’ingénierie et l’économie, elle en n’oublie pas pour autant son rôle de représentant du Maroc à l’étranger. Le combat de leurs aînés se poursuit mais cette fois essentiellement sur le terrain des droits de l’Homme. Fini les rêves de démocratisation et d’évolution sociale, l’heure est à la défense de la liberté. Liberté d’opinion, d’expression… les manifestations, grèves de la faim, sit-in, sensibilisation de la communauté française… tous les moyens sont bons pour dénoncer les procès politiques à répétition, les emprisonnements d’intellectuels et d’hommes politiques, les atteintes aux droits de l’homme…

La génération de la crise : début des années 90, la situation au Maroc donne quelques signes d’évolution puisqu’on reconnaît publiquement l’existence de bagnes, que nombre de prisonniers politiques sont remis en libertés, qu’on entrevoit un processus de démocratisation…en somme, se dessine la fin des longues années de plomb. Cela suffit à détourner les jeunes marocains en France de la vie politique de leur pays. Malgré la persistance de violations des droits de l’homme au Maroc, malgré un processus de démocratisation qui tarde à se concrétiser, malgré les injustices sociales de plus en plus criantes… l’engagement politique ne suit plus. En place, on observe une mobilisation importante dans le cadre de l’humanitaire qui éloigne de la sphère politique pour se préoccuper du terrain social. Enfin depuis la fin des années 90, la nouvelle génération d’étudiants ont trouvé sur la toile un nouveau moyen d’expression. Listes de diffusion, blogs, journaux en ligne, sites, forum… sont autant d’outils qui élargissent le champ d’expression de la jeunesse marocaine en France. L’explication est simple : internet offre l’anonymat et la liberté d’expression tant convoitée par nos ainés. Seul inconvénient, l’utilisation du net éloigne du militantisme politique sur le terrain.

Mais où est passée la relève ?

Aujourd’hui, si l’engagement des jeunes marocains en France est à bout de souffle, c’est que plusieurs d’entre nous se sont tournés d’abord vers la quête de la réussite professionnelle et personnelle. Malgré cela, certaines associations tentent plus ou moins efficacement à combler le vide politique. L’AMGE-Caravane, Pour un Maroc Meilleur (Canada), le Mouvement des jeunes Istiqlaliens de France et depuis Cap’DéM@ sont tant de groupements d’étudiants qui œuvrent pour une sensibilisation des jeunes marocains dans l’espoir d’informer, de mobiliser et de rassembler autour de la cause marocaine.

Il est pourtant certain que nos gouvernants ont toujours cherché à encadrer cette jeunesse partie faire ses classes à l’étranger et traditionnellement amenée à occuper de hautes responsabilités une fois au Maroc. Il s’agit pour les autorités de “filtrer” le retour au pays. Les Marocains maintenant installés à l’étranger, qui réussissent tout autant que leurs aînés, sont bien plus dociles. Mais peu s’intéressent véritablement à l’action politique. Comment donc est-on passé d’un mode d’organisation estudiantin reposant sur des bases politiques à des groupements à caractère essentiellement économique et réunissant de futurs entrepreneurs ?

Peu revendiquent en fait le droit d’exprimer publiquement des opinions politiques. Force est de constater que notre future élite (pour ceux qui franchiront le cap du retour) maîtrise déjà l’art de la langue de bois et des discours consensuels. Mais cet engagement est encore trop souvent le fruit d’une culture familiale militante et pas assez celui d’un cheminement strictement personnel. En somme, si nos jeunes expatriés se lancent parfois dans des associations à caractère économique ou humanitaire, peu sortent des sentiers battus, très peu militent dans des partis non gouvernementaux. Mais, si les instances électives sont tenues en piètre estime, le pouvoir exécutif continue de faire rêver nos jeunes et ambitieux expatriés. Les ministres technocrates quadragénaires ont leurs faveurs. L’Etat peut désormais -à un prix quasiment nul pour lui- puiser dans un vivier de plusieurs générations de technocrates en herbe. La relève des Ghallab, Douiri et consorts est assurée, et le Makhzen a encore plusieurs Jettou en réserve !

Aimane Sami


1 commentaire:

Bat Ayoub a dit…

bravo pour l'article, une seule remarque arrêtons de parler du Makhzen et de sa magie de nous gouverner!! la pire des choses dans l'engagement c'est de croire à des forces célestes qu'on ne peut pas vaincre, et malheuresement notre problème cette vieille chanson du Makhzen qu'on chante !!!
Continuer à militer mais pensez que vous serez les futurs dirigeants donc pas d'engagement en CDD mais il faut s'inscrire dans le long terme (engagement en CDI).