mardi 8 avril 2008

"Pas de développement économique sans assainissement de la situation générale du pays, pas d’assainissement sans une réforme constitutionnelle"

Evident ? non, bien sur… car on peut bien réformer les structures économiques du pays sans avoir à toucher à la constitution. Non, on ne rafistolera pas en usant du système D comme d’habitude, on fera mieux, on ignorera cette constitution, pour nous en remettre exclusivement aux autorités supra-constitutionnelles. Le Roi fait du bon boulot, à quoi bon chercher à réformer ce "chiffon de papier" pour reprendre l’expression de Guillaume II à propos de l’acte de neutralité de la Belgique, en 1914... à quoi bon s’embarrasser de réécrire un texte symbolique, alors que le pays bouge malgré tout?

Cet argumentaire, M. El Himma le fait sien, et il n’est pas le seul : dans les "grandes" formations politiques, un seul mot d’ordre : "tous derrière le Palais !" bon… en soit, l’acte est tout naturel dans une monarchie, la nôtre qui plus est... Seulement, ce mot d’ordre est complété par : “Le Palais nous montre la voie...” Ah? Et les partis? ils devront suivre la cadence et faire preuve d’une passivité servile. La faute à qui ? euh...

Conscient du danger représenté par la concentration des pouvoirs, le Roi décide de déléguer la direction des orientations des grands chantiers d’une politique que le gouvernement était supposé mener, et pas seulement appliquer, avec des marges de manœuvre très réduites. El Himma porte le fer là où il fait bon dormir : le Parlement. Ce dernier ne fait pas son boulot? eh bien l’ancien secrétaire à l’intérieur dynamisera la chambre des représentants, en s’entourant des compétences et potentialités du Maroc, de quel bord politique qu’elles soient… Après la démocratie "Hassanienne", voici la démocratie "Himmanienne"...

Bizarre...
Lors de la fameuse rencontre avec MM. Sassi et Hafid, en Juillet 2006, El Himma aurait laissé entendre que les hommes politiques compétents étaient appelés à rejoindre une sorte de "front royal de modernité", pour reprendre l’expression de M. Sassi. D’autre part, El Himma a synthétisé la situation du règne du Roi Mohammed VI comme suit : Lecture. L’œuvre de Mohammed VI selon El Himma :

• "Au début du règne de Mohammed VI, le pays était menacé par des actes terroristes, par les projets d’Al Adl Wal Ihssane, etc. Aujourd’hui, la sécurité est établie. Nous avons défendu notre stabilité avec les moyens que cela nécessitait".

• "... pour ce qui est de la réconciliation, je vous demande simplement de retenir le courage politique que cela a nécessité. Aujourd’hui, la réconciliation est un fait. Une page est tournée".

• "... le roi a parcouru 72.000 km cette année. Citez-moi une seule région où un grand chantier de développement n’ait pas été lancé. Parfois les gens s’étonnent de voir le roi lancer de micro-projets. Mais cela lui permet d’écouter directement les doléances des citoyens, en plus des rapports qui lui parviennent".

• “… le roi est intervenu en pleine crise et n’a pas choisi la facilité. Il a fait voter la Moudawana au Parlement, de manière à impliquer toutes les forces politiques”. (Tel Quel n°238)

En d’autres termes, si amélioration de la situation générale du pays il y a, c’est grâce au roi. Si El Himma n’y fait pas allusion, l’aspect politique est présent dans cette synthèse : la démocratisation accélérée, mais à pas prudents de la société marocaine est encore une fois, une œuvre royale.

Personne n’est dupe : le roi fait tout, mais on mesure l’importance du crédit engagé. Certes, le monarque croise le fer sur le terrain, en faisant avancer les choses, mais ce faisant, il s’expose à des critiques. Etant l’initiateur de tel ou tel projet, de telle ou telle mesure, il est de fait tombé dans une situation où on est en droit de lui demander des comptes, voire de critiquer telle ou telle orientation. Le seul hic, c’est que la constitution sacralise et sanctifie l’institution monarchique, et malheur à qui oserait demander des comptes à Amir Al Mouminine. Casse-tête ? paradoxe ? Quand Sassi, dans les "Cahiers Politiques", disait que l’Etat disposait d’une certaine cohérence dans sa stratégie, il n’y se trompait pas : au lieu d’impliquer directement le roi dans la gestion courante politique, ça sera à un homme fort, un homme du roi, qui s’occupera du tout. Hier s’était Oufkir, Guedira parfois, Dlimi, puis Basri. Aujourd’hui ça sera Fouad Ali El Himma. La nouveauté, c’est que la légitimité du nouvel homme fort du roi sera double, ou tout au moins nimbée d’une légitimité populaire. En d’autres termes, El Himma cherche sa légitimité d’abord chez le roi -c’est un ancien camarade de classe- puis chez le peuple marocain -c’est le député des Rhamna-. Curieuse situation, inédite sûrement : le lieutenant du roi s’excentre du cercle de décision, mais en garde le pouvoir et les attributs.

“Beware of my countryman when he turns polite” comme le disait Rudyard Kipling. Non pas que je remette en cause la fibre démocratique de M. EL Himma, mais je m’intéresse seulement à l’origine de sa légitimité : oui, il a été élu. Et alors? si ce n’était sa proximité avec le Roi, il n’aurait peut être pas eu ce score confortable, ni n’aurait bénéficié d’une couverture médiatique à peine déguisée.

Le Cas El Himma est peut être un épiphénomène, peut être éphémère, mais il est symptomatique de la faiblesse des institutions, sauf d’une seule, qui monopolise et distribue les pouvoirs. Le Gouvernement? ce n’est qu’après les négociations post-électorales que le programme formel est esquissé, lequel doit avoir le feu vert du Palais pour être présenté au Parlement. Le Parlement lui-même est incapable de prendre l’initiative d’une loi, à titre d’exemple, les élus du peuple marocain ont été effaré par un projet de loi qui stipulait qu’ils devaient faire une déclaration de patrimoine avant et après leur mandat… Le contre-argument de choc : “les ministres doivent faire de même” ces derniers répliquent “nous ne sommes pas assujettis à la même procédure”… Au delà de ces querelles de clochers, un constat s’impose : les institutions sont malades, faméliques et gangrénées.

Ce que El Himma voudrait faire, c’est noyauter des institutions déjà vidées de toute prérogative, et n’en faire, au bout du compte, que la confirmation des orientations étatiques ; Cette politique de délégitimation systématique des institutions populaires conduira finalement l’opposition à chercher son expression en dehors des institutions, ce qui ouvre la voie à des débordements, et nous revoit aux périodes les plus sombres de l’histoire politique contemporaine de notre pays. Son action sera peut être positive, pour le fonctionnement “objectif” des institutions, mais pour la politique partisane se réclamant d’une certaine rigueur éthique, c’est un danger. Pourquoi ? D’abord parce que le citoyen marocain perdra confiance en toute faction politique, qu’elle soit corrompue ou non, ce qui fragilisera d’autant plus les partis politiques, qui sont -pour ceux qui gardent un point de vue critique des choses- l’un des contre-pouvoirs encore existant à l’institution monarchique. Ensuite parce que la logique derrière ce front royal -qui n’a pas besoin d’être un parti pour être visible- c’est le “tu es avec moi ou contre moi” en d’autres termes, le but -avoué ou non- de ces manœuvres politiques, c’est d’instaurer une certaine “dictature de la pensée unique”, puisque de toutes façons, c’est la monarchie seule qui est capable de “sauver” le Maroc. En tant que militant politique, mais aussi et surtout en tant qu’être humain, aspirant à une pleine citoyenneté, je ne peux qu’exprimer une appréhension pour la liberté individuelle la plus basique, celle d’avoir une opinion propre.

Petit exercice de logique : qui régit et définit les Institutions ? en France, c’est la constitution, au Maroc aussi… Seulement, si les institutions sont en panne, de deux choses l’une, soit la constitution n’est pas respectée, et là la définition même d’Etat de Droit n’est plus opérante au Maroc, soit cette constitution est déséquilibrée. L’esprit malicieux ajoutera : “et la voix du peuple dans tout ça ?” la voix du peuple compte pour du beurre mon ami… je ne veux, à titre d’exemple, qu’évoquer l’article 24 de la constitution amendée de 1996 : “le Roi Nomme le Premier Ministre” Constitutionnellement, le Roi peut nommer toute personne qu’il veut, c’est à son bon plaisir. En 2002, son choix était constitutionnel, en 2007 aussi. Il s’est juste obligé à nommer un premier ministre partisan… La volonté populaire est évacuée par les institutions, puisque finalement, elle est réduite à zéro, malgré l’article 4 : “La loi est l’expression suprême de la volonté de la Nation”.

Comble du malheur, nous sommes au Maroc, dans les deux situations évoquées plus haut: la constitution est déséquilibrée, puisqu’elle accorde des pouvoirs tellement étendues qu’elle ne les définit pas, au Roi, et les bribes de pouvoirs “octroyés” (et le mot est de feu le Roi Hassan II) sont tellement insignifiant que des institutions comme la justice, la police ou les services de sécurité font un pied de nez à toutes les tentatives d’investigation à travers les mythiques commissions parlementaires. Oui, bien sûr, les parlementaires votent des lois, mais le circuit législatif est tel que si le Roi ne trouve pas à son goût un certain projet, ou une proposition, il refusera de signer, entraînant une procédure extraordinaire, laquelle se solde toujours par la victoire du souverain : le référendum est et sera pendant longtemps un plébiscite, une bey’a…

Alors... une réforme constitutionnelle s’il vous plaît...

Zouhayr Ait Benhammou

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